Votre entreprise était concernée par la CSRD et/ou la Taxonomie européenne, et vous souhaitez y voir plus clair sur les probables évolutions de ces exigences règlementaires dans le cadre de la loi Omnibus présentée le 26 février dernier ? Vous êtes au bon endroit ! Explorons ensemble ce qu’il en est à date, les prochaines étapes et l’approche que nous vous conseillons d’adopter en attendant le vote de ces évolutions réglementaires.

CONTEXTE DE LA PROPOSITION OMNIBUS

Bref rappel du contexte pour commencer : l’Union Européenne a bâti un cadre réglementaire ambitieux pour accompagner la transition écologique et sociale des entreprises. Parmi ses piliers :

  • La Taxonomie européenne, qui définit les activités durables,
  • La CSRD, qui impose un reporting extra-financier standardisé,
  • La CS3D, qui encadre le devoir de vigilance des entreprises. Alors que la CSRD et la Taxonomie sont déjà en vigueur, la CS3D doit encore entrer en application. Mais la mise en œuvre de la CSRD a suscité de vives critiques, les parties prenantes concernées la décrivant comme trop complexe à comprendre ainsi qu’à mettre en oeuvre. Face à ces tensions, la Commission européenne a proposé, le 26 février dernier, une refonte du Pacte Vert pour alléger certaines exigences.

Dans cet article, nous vous proposons un éclairage sur les évolutions potentielles, les prochaines étapes autour de ces propositions et l’approche que nous vous conseillons d’adopter durant cette période d’incertitude. Les principales modifications de la CSRD et de la Taxonomie européenne apportées par cette proposition sont disponibles en 2ème partie de l’article.

 

OMNIBUS, LES PROCHAINES ETAPES : ENCORE BEAUCOUP D’INCERTITUDES ET DE LONGS DELAIS

Il est important de rappeler ici que les multiples changements en discussion ne sont que des propositions à ce stade, qui doivent être débattues et votées au niveau européen, puis transposées dans le droit français. D’ici là, les textes actuels de la CSRD et de la Taxonomie européenne restent en vigueur.

Concernant la proposition de report de la CSRD (“Omnibus I”), il est quasi acté qu’a minima un report va être adopté, l’enjeu étant la durée du report. La Commission européenne oeuvre pour que l’adoption de ce report soit la plus rapide possible, une procédure d’urgence (dite ‘stop the clock’) devrait être activée pour que ce report soit entériné d’ici à mai-juin au niveau européen. La transposition dans le droit français devrait suivre et se faire au second semestre 2025.

Concernant la proposition modifiant en profondeur la CSRD (”Omnibus II”), le chemin est plus incertain et nettement plus long. La proposition va faire l’objet d’intenses négociations et de propositions d’amendements notamment au Parlement européen. Ce qu’il est important de retenir c’est que cette proposition peut faire l’objet d’encore beaucoup de modifications . Les délais évoqués à ce stade seraient une adoption au niveau européen à fin 2025 ou début 2026, puis ensuite une transposition dans le droit français courant 2026. Dans un délai de 6 mois maximum après adoption d’Omnibus II, seraient publiés : les nouvelles normes ESRS réduites, le cadre volontaire de reporting ainsi que la taxonomie dans sa nouvelle version (telle que présentée dans la partie précédente).

La transposition en droit français comporte une part d’incertitudes également en particulier sur un éventuel retour à l’ancêtre de la CSRD : la DPEF. Sur la DPEF, la plus grande incertitude concerne les EIP employant 500 et 1 000 salarié.e.s, anciennement tenues de publier une DPEF, qui ne seront plus soumises à la CSRD : devront-elles revenir à la publication d’une DPEF ou va-t-on se diriger vers un seuil unique (plus de 1000 employé.e.s) avec un reporting unique (celui de la CSRD) ?

 

OMNIBUS, ET APRES ? L’APPROCHE QUE NOUS VOUS CONSEILLONS

Cette séquence parlementaire ouvre toute une période d’incertitudes pour les entreprises qui sont actuellement concernées par la CSRD, dans laquelle il ne va pas forcément être aisé de naviguer. Voici l’approche, à court terme, que nous vous conseillons d’adopter :

  • Faire ou finaliser son analyse de double matérialité :Que vous soyez encore soumis à la CSRD ou pas suite à l’adoption éventuelle de cette proposition, l’analyse de double matérialité reste un formidable outil pour questionner et réviser votre stratégie. Elle vous aiguillera notamment dans la réduction de vos impacts négatifs principaux, la maximisation de vos impacts positifs, le prévention de vos risques et l’exploitation de vos opportunités matérielles. Notre conseil pour vous est donc d’aller au bout de cet exercice et de véritablement tirer profit des précieuses conclusions de ce travail.
  • Suspendre son analyse des écarts sur les données ESRS :L’analyse des écarts consiste à passer en revue les données sur lesquelles l’entreprise va devoir reporter et établir celles qui sont disponibles à l’heure actuelle et celles dont il va falloir mettre en place le suivi. Cette étape permet de préparer sa future collecte de données en vue de produire un rapport CSRD conforme. Pour les entreprises qui devaient publier à partir de 2026, cet exercice était potentiellement réalisée, initiée ou programmée.Notre recommandation est de suspendre temporairement cet exercice assez dense. En effet, si le report de 2 ans est validé, ainsi qu’une modification drastique des normes ESRS, mettre son énergie aujourd’hui dans cet exercice est moins prioritaire.Pour les entreprises qui seraient assujetties à la CSRD à partir de 2028, il sera plus pertinent de réaliser cette analyse des écarts sur les nouvelles normes ESRS lorsqu’elles seront validées.

    Pour les entreprises non soumises à la CSRD (à condition d’adoption de la proposition), il est préférable de faire l’exercice en se limitant aux données VSME (également probablement révisées prochainement). Si l’entreprise souhaite faire un rapport RSE volontaire, il faudra partir du cadre VSME et ajouter des données éventuellement pertinentes pour décrire la stratégie RSE et ses résultats actuels.

PRINCIPALES MODIFICATIONS DE LA CSRD : UN REPORT ET UNE SIMPLIFICATION AUX CONTOURS ENCORE A DEFINIR

Dans la loi omnibus, 2 propositions révisent en profondeur la CSRD :

  • La première proposition dite “Omnibus I” est la suivante : reporter de 2 ans l’entrée en vigueur de la CSRD pour toutes les entreprises qui devaient initialement publier leur 1er rapport de durabilité à partir de 2026 sur leur exercice fiscal 2025. L’intention de la Commission européenne est d’adopter cette proposition le plus rapidement possible (indépendamment de la seconde), on parle en ce moment d’une adoption autour de mai/juin de ce report.
  • La seconde proposition dite “Omnibus II” vise à drastiquement modifier la CSRD avec les objectifs suivant : réduire le nombre d’entreprises concernées et alléger les normes de reporting. Cette proposition va faire l’objet d’un parcours législatif plus long que la 1ère, puisque les propositions de modifications vont faire l’objet d’intense négociations et débats entre les 3 instances européennes. Il est donc important de noter que les modifications proposées par la Commission ne sont pas entérinées, elles peuvent encore faire l’objet de changements notamment au moment des débats au Parlement européen.

 

Regardons ensemble ce que la 2nde proposition “Omnibus II” viendrait modifier dans la CSRD :

  • Entreprises assujetties à la CSRD :Le nombre d’entreprises concernées à terme par la CSRD diminuerait drastiquement, on passerait de 50 000 entreprises à environ 11 000. Concrètement cette réduction se fait par un relèvement des seuils à partir desquels une entreprise est assujettie. Un élargissement progressif était prévu au départ avec notamment une deuxième vague d’entreprises assujetties à la CSRD à partir du moment où elles rempliraient 2 des 3 critères suivants : plus de 250 employé.es, plus de 50M d’euros de CA ou plus de 25M d’euros de bilan. A compter de l’adoption de cette proposition, un seuil unique serait défini : seules les entreprises de plus de 1000 employé.e.s et ayant au moins 50M€ de CA ou 25M€ de total bilan seraient encore soumises. Ainsi, toute entreprise de moins de 1 000 salarié.e.s ne serait plus concernée, et ce indéfiniment, car cette proposition ne prévoit pas d’élargissement ultérieur du périmètre.
  • Un cadre volontaire pour les entreprises non assujettie :La Commission européenne propose d’adopter un cadre de reporting volontaire, recommandé pour toute entreprise en dehors des seuils mais qui souhaiterait publier un rapport RSE volontaire. L’intention de la Commission est de baser ce cadre volontaire sur une norme existante : VSME (Voluntary Standard for non-listed, micro-, small, and medium-sized undertakings).Ce cadre volontaire, qui était initialement prévu pour les PME et TPE non assujetties à la CSRD, deviendrait une sorte de niveau plancher à assurer pour ces entreprises. En effet les parties prenantes externes (client, fournisseurs, investisseurs) assujettis à la CSRD n’auraient demain pas le droit, dans le cadre de leur reporting CSRD, d’exiger des données qui ne feraient pas partie du cadre volontaire à des entreprises non soumises à la CSRD. Concrètement, en assurant un suivi des données listées dans ce cadre volontaire, les entreprises non assujetties seraient en mesure de répondre aux exigences de données RSE de leurs parties prenantes externes.L’enjeu, dans les mois à venir, sera de définir le contenu de la norme VSME (garder le cadre tel que défini actuellement, ou le réviser). Ce cadre volontaire sera publié dans un délai maximum de 6 mois après adoption d’”Omnibus II” par acte délégué (équivalent européen d’un décret).
  • Maintien de l’analyse de double matérialité :C’était l’un des enjeux des discussions autour de la proposition de la Commission européenne, finalement, le verdict est tombé : pour les entreprises soumises à la CSRD, la double matérialité reste une obligation.Il est à noter néanmoins que dans la norme VSME (potentiel cadre volontaire recommandé pour les entreprises non soumises), l’analyse de double matérialité n’est pas intégrée.
  • Modifications drastiques des normes ESRS à venir :Les normes ESRS qui cristallisaient les critiques des détracteurs de la CSRD, vont faire l’objet d’une grande refonte. Pour rappel, les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) sont les textes officiels qui établissent les données à reporter sur un sujet après avoir établi qu’il était matériel pour l’entreprise. Ces normes, au nombre de 12, recensent plus de 1 200 points de données au total (données obligatoires et volontaires incluses). Aucune entreprise n’était amenée à publier ces 1 200 points de données, puisque suite à une analyse de double matérialité, il était établi que l’entreprise n’aurait pas à reporter sur certains sujets.La Commission européenne souhaite revoir ces normes ESRS avec les intentions suivantes :
    • Supprimer les données jugées les moins importantes,
    • Prioriser les données quantitatives par rapport aux données qualitatives,
    • Etablir des distinctions plus nettes entre les données obligatoires et les données volontaires.

    Le visage qu’auront les normes ESRS à l’avenir reste encore très flou, et va le rester encore pour un certain temps. Les nouvelles normes ESRS devraient en effet être entérinées dans un délai de 6 mois après l’adoption d’omnibus II. Pour les entreprises de la vague 1 qui publient leur 1er rapport de durabilité en 2025, elles seront tenues de continuer à produire leur rapport de durabilité selon les normes actuelles. Pour les entreprises suivantes, les nouvelles normes ESRS devraient très probablement être publiées avant 2028 (année où les entreprises de la vague 2 toujours concernées devraient à priori publier pour la 1ère fois).

    Autre changement sur les normes ESRS : le projet d’adoption prochaine (horizon 2026) de normes de reporting complémentaires spécifiques à certains secteurs serait définitivement abandonné.

  • Maintien de l’audit à assurance limitéeInitialement, l’audit du rapport de durabilité avait vocation à évoluer d’une assurance limitée vers une assurance raisonnable en 2028. Concrètement, cela signifie que jusqu’en 2028, les auditeur.rices de durabilité devaient auditer les rapports de durabilités en vérifiant un nombre de données restreint : c’est l’assurance limitée. A partir de 2028, l’audit serait devenu plus dense, avec un nombre de données à vérifier bien plus important : c’est l’assurance raisonnable.Omnibus II propose de maintenir définitivement l’audit en assurance limitée et de publier d’ici à 2026 des guidelines plus précises sur la manière dont cet audit doit être mené.

PRINCIPALES MODIFICATIONS DE LA TAXONOMIE EUROPEENNE

Comme pour la CSRD, les modifications de la Taxonomie européenne visent à réduire le nombre d’entreprises concernées et à en réduire les exigences :

  • Entreprises soumises à la Taxonomie européenne :L’évolution des seuils de la Taxonomie européenne suit celle des seuils de la CSRD : seules les entreprises de plus 1000 employé.es seront encore concernées par la Taxonomie. La réduction des seuils va même un peu plus loin puisque pour les entreprises de moins de 450 millions d’euros de CA, la Taxonomie deviendrait facultative.
  • Introduction d’une nouvelle catégorie d’activités :Initialement les activités pouvaient intégrer 3 catégories distinctes selon les critères de la Taxonomie européenne :
    • Les activités non éligibles : ce sont les activités qui ne figurent pas dans les listes établies par la Taxonomie comme des activités pouvant potentiellement contribuer à l’un des 6 objectifs environnementaux de l’UE.
    • Les activités éligibles non alignées : ce sont les activités qui font partie des listes établies par la Taxonomie comme des activités pouvant potentiellement contribuer à l’un des 6 objectifs environnementaux de l’UE mais qui ne remplissent pas les critères techniques permettant de considérer qu’elle contribuent effectivement à l’un des objectifs.
    • Les activités éligibles alignées : ce sont les activités qui font partie des listes et remplissent les critères techniques.

    La modification de la Taxonomie européenne vise à introduire une 4ème catégorie : les activités partiellement alignées qui comme leur nom l’indique, sont éligibles mais ne remplissent qu’une partie des critères techniques pour être considérées comme alignées.

  • Critères d’exemption de reporting d’une activité :Dans la Taxonomie actuelle, il n‘y avait pas d’informations claires sur quelles activités à l’importance réduite (faible CA généré, faible CAPEX) pouvaient être exemptés de reporting. La Commission européenne propose que le reporting se fasse sur les activités qui génèrent plus de 10% de CA ou représentent plus de 10% des CAPEX. Concernant les OPEX, il est demandé de les reporter seulement s’ils représentent plus de 25% des OPEX totaux de l’entreprise.
  • Changement dans le reporting :La Commission propose de simplifier les critères techniques permettant d’établir qu’une activité est alignée notamment les critères permettant d’établir qu’une activité contribuant à l’un des objectifs ne porte pas préjudice à l’un des 5 autres.Dans les textes de la Taxonomie européenne sont fournis des tableaux “template” consolidant les informations à reporter. Dans le cadre de sa proposition, la Commission européenne souhaiterait réduire drastiquement le volume de données à produire dans ce template (la proposition évoque une réduction de 70% des informations demandées).

Les changements de la Taxonomie européennes devraient être adoptés plus simplement que ceux de la CSRD. La proposition de changement fait l’objet d’une consultation publique de 4 semaines (jusque fin mars) et sera ensuite adoptée sous la forme d’un acte délégué (équivalent européen d’un décret donc qui s’applique dès publication) dans un délai de 6 mois après adoption de la proposition “Omnibus 2”.

 

Nous espérons vous avoir aider à y voir plus clair dans ce contexte d’incertitudes et d’intenses débats autour du devenir du Pacte Vert !