La proposition de loi Omnibus de la Commission européenne ressemble au point d’orgue d’une interminable séquence de remise en cause de la RSE dans l’économie. Je pense qu’elle constitue au contraire le point de départ du grand retour de la RSE comme boussole stratégique de l’entreprise.
Pourquoi ?
Depuis 18 à 24 mois, on assiste à une hyper-focalisation, en matière de RSE, sur le sujet de la conformité et du reporting.
La place centrale de la CSRD a eu des effets positifs indéniables, qui sont autant de précieux acquis :
- Un langage commun, via la catégorisation en 10 grands sujets de durabilité,
- Une acculturation et une implication renforcée des CODIR,
- Une appropriation de la RSE par le monde de la finance et des risques, et de nouvelles alliances dans l’entreprise (DAF-RSE-Risques),
- La généralisation de la double matérialité,
- L’ouverture d’une brèche et de premiers états des lieux salutaires chez les entreprises les moins avancées.
Mais la priorisation du reporting, tant en termes de calendrier, de ressources, que de priorités opérationnelles, a aussi produit des effets pervers, dont nous payons aujourd’hui le prix.
Le reporting RSE a été imposé comme une priorité pour bon nombre d’entreprises peu matures, sans leur donner l’occasion ni le temps de mesurer les effets bénéfiques de la RSE. La première exposition sérieuse à la RSE, pour beaucoup, a dès lors consisté en une menace (de non-conformité), des coûts significatifs et un exercice ardu, et on a souvent perdu l’objectif en chemin : la transformation de l’économie et des modèles d’affaires.
Dans ces conditions, même si je le regrette, on peut comprendre que certains se réjouissent de la suspension de cette obligation vécue comme un fardeau bureaucratique.
Stratégie, action, mesure et reporting : remettons les priorités dans le bon ordre
D’ici mai 2025, un délai supplémentaire de 2 ans devrait être octroyé aux entreprises pour soumettre leur premier reporting, sur un périmètre beaucoup plus réduit, et la majorité d’entre elles sera même totalement libérée de l’obligation de rapportage et d’audit.
Même si les choses peuvent encore bouger, l’issue des négociations d’Omnibus fera de la RSE une démarche à nouveau plus volontaire, pérenne uniquement si elle démontre sa valeur pour l’entreprise.
C’est l’occasion de lui redonner la place stratégique qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
Si votre entreprise s’est mise en mouvement pour produire un rapport RSE le fusil sur la tempe, uniquement parce que c’est obligatoire, et que votre CODIR a sabré le champagne à l’annonce d’Omnibus… c’est peut-être que votre direction RSE, votre cabinet de conseil et votre auditeur de durabilité n’ont pas fait leur job : il est de notre responsabilité collective de comprendre l’entreprise, ses enjeux, ses défis, ses menaces, ses opportunités, ses impacts, dans le but de l’aider à se renforcer et pérenniser son activité. Ça n’est qu’en faisant la démonstration que votre politique RSE est bénéfique pour l’entreprise, que l’entreprise s’en emparera pleinement. Sinon, la RSE sera toujours vécue par beaucoup comme une corvée, une entrave à la compétitivité, et beaucoup d’énergie sera déployée pour l’empêcher de s’imposer.
Dans ce nouveau paradigme, qui ressemble en fait à l’ancien, augmenté des avancées que j’ai énumérées plus haut, il est donc fondamental que les directions et expert.es RSE reprennent la RSE par le bon bout, sans quoi elle finira chez beaucoup avec l’eau du bain du reporting.
Dans le monde instable, en crise et concurrentiel qui est le nôtre, la (bonne) RSE a toutes les raisons de devenir la colonne vertébrale de toutes les entreprises et la meilleure alliée des CODIR.
Charge à nous/ vous, de faire la démonstration de son potentiel immense pour :
🔮 Anticiper l’avenir et donner de la visibilité, pour éviter de subir
🎯 Prioriser pour maximiser son impact, son ROI et éviter la dispersion
🔗 Réduire ses risques, ses dépendances, son exposition au coût du carbone et des matières premières, accroître la résilience de ses chaînes d’approvisionnement
🚀 Identifier de nouveaux marchés, innover, se différencier pour renforcer son attractivité, sa compétitivité et sortir de l’océan rouge
📈 Piloter son activité et mieux mesurer ses performances, conformément aux attentes des investisseurs et donneurs d’ordres (C’est à ce niveau que se situe le reporting)
Un grand pouvoir impose de grandes responsabilités
Nous quittons une parenthèse où la RSE a semblé pouvoir s’imposer comme une contrainte réglementaire à l’immense majorité des entreprises, pour entrer dans une ère où elle va redevenir un levier stratégique et différenciant. Rangeons donc l’épée de Damoclès de la non-conformité et faisons réellement l’effort d’apporter la démonstration de la valeur qu’elle crée.
N’oublions pas que le reporting, ça n’est qu’une obligation de dire, pas une obligation de faire. Il est certes essentiel, il doit prendre toute sa place, mais seulement sa juste place : la priorité c’est l’action, l’adaptation, la réduction des impacts et la transformation.
Plus que jamais, les entreprises qui survivront seront celles qui agiront efficacement, c’est à dire celles qui sauront aligner stratégie RSE et stratégie business.
C’est le grand retour de la stratégie RSE.
Responsables RSE, vous avez donc du pain sur la planche, mais aussi beaucoup de chance : Vous avez un boulevard pour redonner leur pleine dimension aux sujets que vous portez…